PROPOSITION DE RÉSOLUTION
visant à reconnaître l’existence d’adoptions internationales illégales en France depuis 1950, invitant à identifier les responsabilités publiques et privées qui ont rendu ces pratiques illicites possibles et appelant à étudier la nécessité de mettre en place des mesures de réparation à destination des enfants et familles adoptives qui en ont été victimes, présentée par Mme Valérie RABAULT, M. Boris VALLAUD et les membres du groupe Socialistes et apparentés (1), députés.
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(1) Mesdames et Messieurs : Joël Aviragnet, Christian Baptiste, Marie-Noëlle Battistel, Mickaël Bouloux, Philippe Brun, Elie Califer, Alain David, Arthur Delaporte, Stéphane Delautrette, Inaki Echaniz, Olivier Faure, Guillaume Garot, Jérôme Guedj, Johnny Hajjar, Chantal Jourdan, Marietta Karamanli, Fatiha Keloua Hachi, Gérard Leseul, Philippe Naillet, Anna Pic, Christine Pires Beaune, Dominique Potier, Valérie Rabault, Claudia Rouaux, Isabelle Santiago, Hervé Saulignac, Mélanie Thomin, Cécile Untermaier, Boris Vallaud, Roger Vicot.
EXPOSÉ DES MOTIFS
MESDAMES, MESSIEURS,
L’adoption internationale s’est développée de façon importante en France à compter des années 1950, avec une progression particulièrement marquée à partir des années 1970. D’après les statistiques publiées par le Ministère des affaires étrangères, le nombre d’adoptions internationales ayant eu lieu en France est ainsi passé de 971 en 1979 à 4 133 en 2005.
Ce nombre a très fortement décru depuis, avec 251 adoptions réalisées en 2021. L’un des facteurs expliquant cette baisse tient en partie à l’adhésion d’un nombre croissant d’États à la Convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Cette convention a représenté une avancée majeure dans la régulation des procédures d’adoption internationale en veillant à ce que toutes les adoptions internationales aient lieu dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
Toutefois, ces dernières années ont vu émerger plusieurs témoignages indiquant qu’un certain nombre d’adoptions réalisées antérieurement à la mise en oeuvre de la Convention de La Haye l’auraient été de manière irrégulière.
Certains pays, comme le Sri Lanka, ont eux-mêmes admis l’existence de pratiques illicites. Le Gouvernement sri-lankais a ainsi reconnu en 2017 que de nombreux abus et manquements ont émaillé les procédures d’adoption dans le pays, à l’insu des familles adoptives : faux documents dans les dossiers, mères de substitution engagées pour donner le consentement à l’adoption devant le tribunal, existence de « fermes à bébés », dans lesquelles étaient placées des mères démunies à qui leur enfant était retiré à la naissance pour être vendu soit directement à des parents, soit le plus souvent à des organismes spécialisés dans l’adoption internationale.
Derrière ces pratiques difficilement imaginables, ce sont la vie de milliers d’enfants qui, de par le monde, ont vu leur vie bouleversée, arrachée à leur famille d’origine. Ce sont aussi autant de familles adoptives impactées, elles qui, pour la très grande majorité, ignoraient tout de ces pratiques illégales.
Plusieurs pays européens ont récemment pris conscience de cette situation et se sont engagés dans une démarche de transparence pour faire la lumière sur ces pratiques illégales.
La Suisse a ainsi mené une enquête conséquente sur les adoptions effectuées au Sri Lanka entre 1973 et 1997. Elle a mis à jour les « méthodes douteuses voire illégales pour répondre à la demande d’enfants de couples européens souhaitant adopter. Ces activités hautement lucratives n’étaient guère encadrées par les autorités du Sri Lanka, qui ont tenté à plusieurs
reprises mais sans succès de mettre fin aux adoptions (1) ». Elle a également été le premier pays à reconnaître, en décembre 2020, sa part de responsabilité, en affirmant que les autorités suisses, « informées dès 1981 par des articles de presse et des informations de la représentation Suisse à Colombo, n’ont semble-t-il pas envisagé de stopper les adoptions en provenance du Sri Lanka, estimant ne pas avoir de preuves suffisantes. Diverses mesures ont été prises […] mais elles n’ont clairement pas suffi à contrer les problèmes soulevés (2) ».
En février 2021, les Pays-Bas ont également reconnu leur part de responsabilité, pointant que « dans certains cas, le gouvernement néerlandais était au courant d’abus, mais n’est pas intervenu efficacement (3) ». En conséquence, le pays a pris la décision de suspendre temporairement toutes les adoptions internationales.
En octobre 2021, la Suède a pour sa part annoncé le lancement d’une enquête sur les adoptions internationales depuis les années 1950.
D’autres pays européens emboîtent aujourd’hui le pas. Il est donc indispensable que la France se montre à son tour à la hauteur du drame qui s’est noué autour de ces adoptions illégales. Afin de permettre à ces enfants adoptés, aujourd’hui devenus adultes, de connaître la vérité sur leurs origines. Afin, également, d’apporter des réponses aux familles françaises concernées qui pensaient avoir adopté en toute légalité.
De ce point de vue, nous saluons la mission d’inspection sur les pratiques illicites dans l’adoption internationale lancée le 8 novembre 2022 par le Gouvernement, qui sera menée conjointement par l’Inspection générale des affaires étrangères (IGAE), l’Inspection générale de la Justice (IGJ) et l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS).
(1) https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/gesellschaft/adoption/illegale-adoptionen.html
(2) Ibid.
(3) https://www.tdg.ch/les-pays-bas-suspendent-ladoption-denfants-a-letranger-155131527835
Nous formulons le voeu que cette mission puisse constituer la première pierre d’un travail approfondi de recherche de la vérité que nous devons à ces enfants adoptés et à ces familles adoptives qui se battent pour faire toute la lumière sur ces événements et ainsi reconstituer leur histoire personnelle.
À notre sens, la recherche de la vérité passe par trois étapes essentielles : d’une part, confirmer et documenter l’existence d’adoptions internationales illégales en France depuis 1950 ; d’autre part, comprendre et analyser les mécanismes qui ont rendu possibles ces pratiques illicites, en identifiant les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés ; enfin, étudier la nécessité de mettre en place des mesures de réparation à destination des enfants et familles adoptives victimes de ces pratiques illicites.
Cette résolution vise donc à apporter le soutien de l’Assemblée nationale à ces enfants et familles adoptives dont les vies ont été bouleversées. Elle a également pour but d’inviter le Gouvernement à faire toute la lumière sur les pratiques illégales en matière d’adoptions internationales en France depuis 1950.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
Article unique
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu l’article 136 du Règlement de l’Assemblée nationale,
Vu la convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, notamment son article 21,
Vu la convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale, faite à La Haye le 29 mai 1993 et signée par la France le 5 avril 1995,
Considérant que l’État a le devoir d’assurer à chacun l’accès à ses origines personnelles,
Considérant que les enfants, en particulier, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu’adultes,
Considérant qu’il est désormais avéré que des pratiques illicites ont émaillé les procédures d’adoption internationale dans plusieurs pays, dans la plupart des cas à l’insu des familles adoptives,
Considérant que plusieurs pays européens ont engagé une démarche de transparence pour faire toute la lumière sur ces pratiques illicites, Considérant que le 8 novembre 2022, le Gouvernement a lancé une mission d’inspection se donnant pour objectif « d’une part, d’identifier les pratiques illicites qui ont eu lieu par le passé pour éviter qu’elles ne se reproduisent et, d’autre part, d’apporter une réponse aux demandes des adoptés et de la société civile »,
Considérant que l’État doit, dans ce cadre, tout mettre en oeuvre pour permettre aux enfants concernés, ainsi qu’à leurs familles adoptives, d’accéder à la vérité afin de reconstituer leur histoire personnelle, Souhaite que toute la transparence soit faite sur ces pratiques illégales et sur les mécanismes qui les ont rendues possibles en France ;
Invite pour cela le Gouvernement à :
1- Établir un tableau précis des populations concernées ;
2- Décrire de manière détaillée le déroulement de ces procédures d’adoption, en indiquant le rôle et la pratique des autorités françaises ainsi que des intermédiaires ;
3- Déterminer si des soupçons d’irrégularités ont été détectés dans certaines procédures par l’administration française, à qui ces soupçons ont été communiqués, quelle a été la réaction des autorités concernées et pourquoi ces révélations n’ont pas conduit un arrêt préventif immédiat des adoptions en provenance des pays concernés ;
4- Déterminer le type de pratiques illicites qui ont été mises en oeuvre et les acteurs impliqués ;
5- Comprendre les processus ayant permis que des adoptions illégales aient pu être validées par les différentes parties prenantes ;
6- Identifier les responsabilités des autorités et acteurs publics comme privés ;
7- Déclassifier les archives françaises relatives à ces adoptions et engager un travail de coopération pour permettre l’accès aux archives des pays d’origine à partir desquels ont eu lieu ces adoptions ;
8- Permettre la reconnaissance officielle par la France, au regard des conclusions de la mission d’inspection qu’il a diligentée, que des adoptions internationales illégales ont bien eu lieu sur notre sol ;
9- Formuler le cas échéant des propositions pour que ces pratiques illicites ne se reproduisent pas ;
10- Étudier le cas échéant la nécessité de mettre en place des mesures de réparation à destination des enfants et familles adoptives victimes de ces pratiques illicites ;
11- Étudier la question de la requalification pénale du « trafic d’enfants en vue de l’adoption » en crime, conformément au a de l’article 3 du protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, adopté à New York le 15 novembre 2000 et signé par la France le 12 décembre 2000.
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